/ Est-il légitime d'exercer son droit de retrait en cette période de pandémie ?

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Est-il légitime d'exercer son droit de retrait en cette période de pandémie ?

De nombreux salariés s’interrogent sur les conditions dans lesquelles ils peuvent exercer leur droit de retrait en cette période inédite de pandémie du coronavirus et nous sommes amenés à répondre à leurs questions :

 « Je travaille en boulangerie, mon employeur n’a plus de masques pour que nous puissions nous protéger. Suis-je un danger pour les autres en étant en contact avec les produits alimentaires et le public ? ».

« Je travaille dans une clinique, je viens en transports en commun mais je n’ai pas de masque pour les trajets. Je peux attraper le virus et le transmettre aux patients. Ai-je le droit d’exercer mon droit de retrait ?».

« Je suis technicien informatique auprès de plusieurs clients, je ne suis pas au chômage technique, je manipule des claviers, du matériel et suis au contact de salariés dans les entreprises. Suis-je en danger ? Puis-je exercer mon droit de retrait ? ».

Policiers, soignants, facteurs, caissiers, livreurs…  autant de questions que de métiers.

Chacun a peur pour soi, mais aussi pour les autres, car [un contact] = [deux potentielles contaminations].

Toutefois, bien que le code du travail semble en pleine révolution, les règles du droit de retrait sont strictes et le gouvernement ne cesse de les rappeler.

En effet, dans une note parue le 28 février 2020 modifiée à plusieurs reprises (17 mars 2020 pour la dernière) le Ministère du travail a précisé que si l’employeur a pris les mesures de prévention et de protections nécessaires conformément aux recommandations du gouvernement (https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus), les possibilités de recours à l’exercice du droit de retrait sont fortement limitées.

Sans entrer dans un débat sur la séparation des pouvoirs (judiciaire et exécutif), il convient de rappeler que le droit de retrait peut être exercé par le travailleur qui pense raisonnable que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ou qui estime que les systèmes de protection mis à sa disposition sont défectueux. Il peut alors se retirer d'une telle situation et en informe son employeur et les instances du personnel (CSE s’il existe). L'employeur ne peut alors demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection.

Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux.

La situation sanitaire particulière actuelle interroge sur la capacité de chacun (salarié, employeur, instances représentatives du personnel) à évaluer tout danger grave et imminent de façon « raisonnable » et les risques encourus justifiant l’exercice du droit de retrait.

A la date du 19 mars 2020, le salarié qui consulte le site du ministère du Travail lira « dès lors que sont mises en œuvre tant par l’employeur que par les salariés les recommandations du gouvernement, la seule circonstance que je sois affecté(e) à l’accueil du public et pour des contacts brefs ne suffit pas, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, à considérer que je justifie d’un motif raisonnable pour exercer mon droit de retrait».

L’attention est ainsi attirée sur la responsabilité partagée de la mise en œuvre des recommandations qui relève tant de la responsabilité de l’employeur que de celle des salariés.

La Direction générale du travail a précisé que « l’employeur n’est nullement forcé de fournir masques, gants et vitrines de plexiglas pour protéger ses travailleurs ». Or, le salarié qui souhaiterait s’en équiper ne peut en trouver facilement à ce jour.

Par ailleurs, la porte-parole du gouvernement a ajouté que « le port du masque sert pour des soignants, dans des situations de soins, pas pour des travailleurs dans d'autres secteurs ni pour les déplacements dans la rue ».

Ainsi, il semblerait qu’à partir du moment où l'employeur « permet » à ses salariés de respecter les gestes barrières, comme se laver les mains et garder une distance respectable avec les clients, le droit de retrait ne peut théoriquement pas être invoqué, quel que soit le secteur.

En imposant ces règles, le gouvernement ne suit pas une décision rendue par la chambre criminelle de la cour de cassation qui avait considéré, dans un contexte bien différent, que « le fait de ressentir raisonnablement un danger grave ou imminent pour sa santé ou sa sécurité justifiait l’exercice légitime du droit de retrait ». (Cass. crim, 8 octobre 2002, nº 01-85.550)

Aucune décision de la Cour de cassation portant sur le droit de retrait lié à une épidémie sur le territoire national et mondial n’a été rendue. Les décisions existantes en matière de droit de retrait portent sur des situations différentes (Chikungunya, Dengue, Zika dans les départements d’outre - mer et qui transmis par certains moustiques) si bien qu’il est difficile de se référer à la jurisprudence actuelle pour conseiller les salariés.

Certains recommandent de suivre les recommandations du gouvernement pour ne pas se mettre en difficultés vis-à-vis de son employeur et donc du risque de sanction. D’autres estiment justifier l’exercice du droit de retrait faute de se sentir protégés face à un risque actuel et grave selon leurs postes et les régions  (General Electric, La Poste, La Redoute, Carrefour…).

Toutefois, une telle décision repose sur le degré de confiance à l’égard des recommandations gouvernementales qui peuvent parfaitement évoluer avec le temps notamment avec la découverte de nouvelles informations sur les modalités de transmission du virus et sa dangerosité. Enfin, dans de nombreux pays, on a vu et on voit des personnes circuler en portant des masques alors que cela n’a pas été recommandé à l’heure actuelle par le gouvernement. Si tel était le cas, cela ne serait pas possible faute de stock disponible. La colère a gagné le corps médical et certains médecins ont porté plainte contre le Premier Ministre et Madame Buzyn à qui ils reprochent de s’être abstenu "volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant (...) de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes", en l'occurrence l'épidémie de Covid-19. La peine encourue est de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende.

Dans tous les cas, tout salarié qui est en mesure de justifier qu’il se trouve dans une situation de danger grave et imminent, ou encore que  l’employeur ne respecte pas les mesures de préventions et préconisations pour protéger la santé du salarié/du groupe de salariés,  ce dernier peut, dans un premier temps, alerter par écrit l’ employeur du danger que présente la situation pour sa santé et sa sécurité et le CSE.

En fonction de la réponse (ou non de l’employeur), le salarié peut dans un second temps, de façon concomitante ou pas, exercer son droit de retrait.

Il est précisé que dans un tel cas, le médecin du travail peut être consulté par le CSE puisqu'il a un rôle exclusif de prévention des risques professionnels et d’information de l’employeur et des salariés.

Même si la situation actuelle de confinement ne facilite pas les échanges entre les élus entre eux et leurs différents interlocuteurs, s’ils estiment qu’ils sont face à un cas d’urgence, ils peuvent solliciter une réunion extraordinaire avec l’employeur par vidéoconférence ou par téléphone (art. L2315-28 du code du travail) et le cas échéant exercer leur droit d’alerte et solliciter une enquête pour danger grave et imminent.

Si le droit de retrait exercé par le salarié est légitime, il ne devra subir aucune perte de salaire, ni être sanctionné.  En revanche, si ce droit de retrait n’est pas légitime, le salarié ne percevra pas le paiement de son salaire pour la période pendant laquelle il s’est retiré, et il pourrait se voir notifier une sanction disciplinaire voire une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave.

Avant de prendre toute décision de retrait, observez et analysez la situation, faites-vous conseiller et accompagner, afin de protéger tant votre santé que celle de vos collègues et de vos proches que votre contrat de travail.

Article rédigé par Françoise Maréchal Thieullent, avocate et médiateure et par Stéphanie Demellier, juriste chez Technologia Juris.

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